Pascale-Sophie Kaparis, Lady M

Peinture, dessin, estampe, …

> Du 24 novembre 2012 au 19 janvier 2013 | Du jeudi au samedi et 1er dimanche du mois de 14:30 à 18:30 | Fermée du 23 décembre au 2 janvier

Le travail de Pascale-Sophie Kaparis explore le corps et ses transformations, ses entrailles, son identité et son incarnation par le moyen de la peinture, du dessin, de la gravure, de la lithographie… En parcourant l’exposition «Lady M», le visiteur contemple les dessins d’écorchés composés à l’encre rouge et au correcteur blanc qui s’offrent tel des mondes fantastiques en perpétuels transformations. La question de la perception de notre propre corps et du corps de l’autre traverse toute son oeuvre. Comment nous percevons-nous ? Comment notre corps est-perçu ? L’artiste déploie un dessin au fil de la pensée, parfois proche du dessin automatique, où la question de l’hybride, de la transformation, de l’effacement, révèlent failles et coupures qui tourmentent l’union précaire du corps et de l’esprit.

Après les présentations au Musée de la Gravure et de L’Estampe de Gravelines et au MUba Eugène Leroy de Tourcoing, cette exposition au Bureau d’Art et de Recerche, est le troisième volet de la diffusion des œuvres de Pascale-Sophie Kaparis réalisés en résidence dans la région Nord-Pas de Calais.

Exposition réalisée avec le concours de Lille3000 dans le cadre de FANTASTIC et le soutien de la Ville de Roubaix, Musée La Piscine Roubaix, MUba Eugène Leroy Tourcoing, Alain Buyse édition, Galerie Maurits van de Laar, …

http://pascalesophiekaparis.com

_L’inaperçu

« (…) Et les dessins ? Ces labyrinthes de sang où un flux vital semble se battre pour émerger. Quel rapport ont-ils avec les vidéos ? Ce qui est beau, dans cette manière de faire, et d’exposer, c’est précisément ce renoncement aux logiques de conventions, pour mieux chercher ce qui lie, souterrainement, les choses entre elles. Quoi de plus dissemblable, stylistiquement, que ces dessins et les Pièces sur l’amour ? Au point même que l’on hésite d’abord à envisager de se lancer dans le jeu des comparaisons. Mais enfin, telle est précisément la force de cette exposition, et plus profondément, de toute la démarche de Pascale Kaparis, que de mettre en tension des choses qui n’ont, a priori, rien en commun. L’artiste dessine, peint, filme, sans se soucier des pseudo frontières entre disciplines mais, au contraire, avec cette conviction ainsi manifestée, qu’il y a, dans sa quête, nécessité de s’emparer de tout moyen qui s’offre à elle. Car quête il y a, qui l’amène sans cesse à comparer l’incomparable : qu’il s’agisse de ses vidéos et de ses dessins, où des expériences amoureuses d’adolescents français et néerlandais. Comparer, moins pour tenter de résorber l’écart que pour en prendre la mesure, et lui donner forme. Quête d’un chemin, où l’énigme sert d’inatteignable but, là où c’est le cheminement qui est délectable.
Ce qui est beau, dans le travail de Pascale Kaparis, c’est cet abandon à l’inattendu, cette ouverture à ce qui vient : la parole de l’autre, le trait qui soudain devient forme. Il faut une forme rare de disponibilité pour parvenir à cela : il faut être prête. L’artiste l’est, d’évidence, elle qui, en mettant en relation le sans rapport, fait surgir l’inaperçu : ce que l’on ne pouvait pas voir autrement, dans la simple comparaison du comparable.
Labyrinthes, disais-je de ses dessins : labyrinthes intimes, c’est certain, où ce sont la déambulation et l’errance, plus qu’une hypothétique échappée, qui donnent vie à cela. Il y a dans ces dessins tant de bifurcations, de repentirs visibles, de faux effacements, d’aveux esquissés puis abandonnés, il y a tant d’enroulements, de noeuds et de sang qui circule. C’est la vie, qui irrigue tout cela. Dessins écorchés vifs. Où la dissection est la modalité d’une traque de la vie. Où le pinceau-scalpel ne tue pas mais fouille, inspecte, interroge sans fin. Si l’amour existe, alors, où va-t-il se nicher, dans quel organe vital ? « Quelles sont les sensations, dans le corps ? », demandait-elle à ces jeunes gens qui se tenaient devant sa caméra. Il y a, chez Pascale Kaparis, un désir de voir et de savoir dont ses oeuvres sont le constat d’échec. A suivre les lignes qu’elle trace et entremêle, on se heurte souvent à des trajets brisés, et à des faux raccords.
De cela, de cette conscience que seule une oeuvre qui porterait dans sa forme la brisure inhérente au sentiment amoureux, les dessins portent la marque, eux qui, à l’instar de l’écart qui règne entre les deux écrans des vidéos, sont si souvent comme scindés autour d’une ligne horizontale. Ligne de flottaison entre l’émergeant et l’immergé ? Entre le visible et le caché, le dit et le tu ? Sans doute.
Constat douloureux, c’est certain, que nulle question, nulle quête, quelque forme qu’elle prenne, quelque langue quelle adopte, ne saurait résoudre l’écart entre ce que nous demandons et ce que l’on nous dit. L’amour, c’est demander à l’autre une chose qu’il n’a pas. Mais constat fécond, aussi, car en comparant l’incomparable, et confrontant ce qui ne peut s’unir, l’artiste trouve sa forme : cette mise en pièce qui est la seule réponse que l’art puisse opposer à l’énigme.

Pierre Wat, extrait du texte L’inaperçu, 2010

_Pascale-Sophie Kaparis / Zelfportret
Pascale-Sophie Kaparis travaille depuis quelques temps à une série de dessins qu’elle appelle autportraits, mais qui sont abstraits à première vue. A l’encre rouge elle dessine des formes qui ressemblent à des plantes ou à des fruits. Elles sont rattachées entre elles pour constituer un système, une forme logiquement reliée avec une autre. Dans le milieu de la représentation, une ligne horizontale a été dessinée, sectionnant le tout. Après un moment, on réalise que ce système organique montre le déploiement interne d’un corps brutalement divisé en deux par la césure horizontale dans le milieu de la représentation. Cela évoque aussi une image de la surface de l’eau avec une moité submergée et l’autre moitié dépassant au-dessus. Dans une série récente de lithographies, elle explore la répétition de la même séquence de formes organiques. Elle part d’une forme basique imprimée qui est par la suite développée par recouvrement à l’encre rouge et Tipp Ex. Cela produit des variations minutieuses et maîtrisées où il est difficile de revenir sur les traces de la forme imprimée qu’elle a abandonnée.

Extrait du livre twenty 20 years, Texte de Maurits van de Laar, Galerie Maurits van de Laar
_Conversation
Entre Pierre Wat, historien de l’art, Michiel Plomp conservateur en chef au Teylers Museum Harlem et Maurits van de Laar, galeriste et historien de l’art La Haye.

Michiel Plomp : (…) ce qui est très étonnant est l’emploi du Tipp-Ex dans les dessins.. je veux dire que je compare avec les dessins des vieux maitres dans lesquels on a aussi des repentirs, les vieux maîtres faisaient des dessins spécialement pour éviter les repentirs dans leurs peintures et c’était la raison des dessins préparatoires. Ici le Tipp-Ex fait partie de l’oeuvre, c’est complètement à l’opposé du procédé des maîtres anciens, et c’est fascinant. Mais pas seulement, le Tipp-Ex est une partie des autoportraits, il est utilisé comme des bandelettes sur le corps, comme une momie amenée au jour. C’est une addition très spéciale pour un dessin, les repentirs et le corps.
Pierre Wat : cette addition ressemble plutôt à une soustraction, c’est à l’opposé.
Maurits van de Laar : j’ai montré dans ma galerie une série de 15 lithographies de la série Zelfportret qui sont reprises à l’encre et au Tipp-Ex .. Si on ne le sait pas, on ne peut pas reconnaître que ce sont des lithographies à l’origine. L’encre et le Tipp-Ex sont utilisés pour reconstruire une nouvelle image, et c’est ce qui m’intéresse. L’aspect formel de la coupure horizontale dans les dessins peut aussi être mis relation avec un séjour de Pascale à New-York, pendant la traversée d’un pont, la vue de la surface de l’eau avec des parties émergentes et d’autres immergées, pour la série Disorder. Pour la série Zelfportret, qui ne sont pas des autoportraits du visage mais du corps, cette rupture horizontale est plus littérale, une ligne d’eau dans un bain qui coupe le corps en deux parties, c’est très direct et en même temps très intime.
PW : je viens de parler avec Pascale de cette peinture, Crowd, elle me disait que c’est une radiographie, une radiographie interne, mais de quoi? parce que l’on peut dire qu’il n’y a pas de point de vue externe, c’est une exploration vue de l’intérieur. Les dessins de Pascale sont liés à la question du désir, quelqu’un veut voir, quelqu’un veut comprendre, elle essaie de voir et de comprendre avec les dessins ou la camera, plus elle essaie de voir et moins elle peut voir et plus elle perd, moins elle trouve, ce n’est pas ce que l’on voit qui est important mais le voyage, l’exploration … Et aussi pour les autoportraits, ce qui veut dire « je fais le portrait de moi-même vu de l’intérieur mais en prenant de la distance » pour les différents points de vision, ici c’est l’intérieur vu depuis l’intérieur, sans distance, plus on regarde moins on trouve, c’est ce qui est intéressant, même si c’est tragique, intéressant et fort dans ce travail.
MP : dans les autoportraits les organes sont presque sortis, aussi les organes remplacent la tête dans la série Crowd
PW : je ne suis pas sûr qu’il y ait une différence entre les autoportraits et les foules, parce que les autoportraits et les foules sont liés par une altérité, qui est l’autre, la question du désir, quelle relation à l’autre peut-il exister… la série Crowd est pour moi une continuité des autoportraits.

Pierre Wat, Michiel Plomp, Maurits van de Laar, extraits.
Exposition Red Repairs Maison Descartes,Amsterdam.

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