Pierre Mercier – A partir de quand on a commencé à savoir quoi – allez savoir

Exposition présentée du 12 septembre au 31 octobre 2003.

A partir de quand on a commencé à savoir quoi est un espace scénique, aménagé pour recevoir les excursions bricolées avec guides invités et, pour présenter de courts films vidéos sur écran mural. Un pendant devrait voir le jour, avec pour l’essentiel des voix de femmes.

Les excursions fabriquées seront des moments constitués au gré de rencontres faites par l’artiste. Quelques-unes feront l’objet d’une soirée où des invités seront associés de par leur compatibilité et incompatibilité. Chacun communiquera ses expériences, son domaine scientifique, etc. Ces collages entre des champs qui ne se rencontrent pas par ailleurs indiquent que les savoirs participent du même monde bien que la méthode et le savoir-faire soit propre à chaque domaine de compétence.

En ce qui concerne l’espace scénique…
En entrant dans l’espace du Bureau d’Art et de Recherche, le spectateur entend (enceinte placée dans une boite de carton) des personnes réciter ce qu’elles savent par cœur : la table de multiplication, une fable de la fontaine ou encore les départements. Demandez-vous, ce que vous connaissez par cœur, vous serez surpris du peu. Peut être que cela ne sert que très peu car c’est lié à d’autres événements ou émotions.

Pour accéder à la salle d’exposition principale, le spectateur est invité à prendre les escaliers raccordés par un couloir. (Le niveau de la salle est donc surélevé.) Une fois à l’intérieur, l’espace de circulation prend la forme de gradins. Cette structure bricolée forme tout à la fois un espace de transition et un espace scénique.

Près des gradins, est présenté Je n’ai rien appris avec l’encyclopédie. Sur chaque photographie (bâtiments modernes, images floues, routes vues par le pare brise voiture et autres), l’artiste a tracé un schéma relatif à une page de l’encyclopedia universalis. Il ne présente qu’une partie du travail réalisée en fonction des trois premiers tomes. Parfois, la page du corpus etc. est notée dans un coin de l’image, au cas où nous voudrions vérifier « la connaissance ». Est-ce que le savoir ainsi répertorié et mis en scène peut suffire à connaître le monde qui nous environne ? Ne sommes-nous qu’une somme de connaissances accumulées ?

Face aux gradins, un programme de douze films vidéos, d’une durée totale de 23 mn défile sur l’écran. Entre chaque séance, le visiteur peut à nouveau visionner certaines promenades, sur un ordinateur.
Le programme comprend dix promenades (titre générique) et deux courts films. Ils apparaissent comme suit : promenade philosophique, promenade de petite tenue, promenade pathétique, promenade musicale, promenade cartésienne, promenade physique, pas de promenade aujourd’hui, promenade active, promenade d’actualité, promenade héroïque, promenade méditative et Duo.

La majorité des films vidéos établissent une correspondance formelle et idéelle entre le texte (lu et écrit) et l’image (animée ou non). Le texte ne combat pas l’image et inversement. Ils font tous deux parties de la construction de « notre propre monde ». Nous partons dans l’idée que le monde est constitué de langages multiples.

L’artiste a choisi un corpus de textes qui trace en filigrane une « pensée active ». Les auteurs cités sont Gaston Bachelard, Antonia Birnbaum, Gilles Deleuze, René Descartes, Fernando Pessoa et Ludwig Wittgenstein. Chacun à leur manière, ils établissent des liens indivisibles entre le langage, le corps et le monde. Les images choisies ont plusieurs sources. Les reproductions sont le plus souvent des tableaux, des fragments de magazines féminins et de journaux télévisuels. Les images personnelles sont des photos et des films pris au grès des déplacements de l’artiste : route, espace fonctionnel, espace de vie, etc.

Le texte et l’image sont exploités selon leurs composants spécifiques. Le texte peut être lu distinctement, avec hésitation… Il peut aussi être écrit. Ce qui est lu, peut encore être mixé ou collé à d’autres voix. Quant aux images, elles peuvent être fragmentées, détourées, collées, montées, colorisées. Dans Duo par exemple, un rythme s’instaure entre texte et image. Un mot apparaît sur l’écran lorsqu’une jeune femme, assise sur une escarpolette, balaie l’écran. Le rythme des mots change au grès des mouvements plus ou moins rapides du corps. Un dialogue sans voix apparaît alors : « qu’est ce que tu dis ?
– Je dis que je ne veux pas que tu me tues.
– Tais-toi !
– Qu’est ce que tu dis ?…»

Dans Promenade active, la vidéo s’ouvre sur la phrase suivante (écrite) : « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit ». Ensuite, nous voyons la caméra se balader dans une chambre en désordre, s’arrêtant sur des détails tels que porte entrouverte, tas de vêtements, dossiers, CD. Au cours du défilement, nous entendons : « Le stable, l’existant et l’objet ne font qu’un…» ; «La philosophie n’est pas une doctrine mais une activité. » Serait-ce à dire que penser et vivre s’accordent ?

Dans Promenade méditative, Noé Paccosi lit avec hésitation des extraits des Méditations I et II de Descartes. Le fils de l’artiste, muni d’un casque auditif, répète ou reprend ce que son père lui dicte d’où l’inconstance de la voix. Soulignons que Pierre Mercier modifie les extraits au fur et à mesure de sa lecture. Le texte porte sur le besoin de se défaire des opinions de ses pères pour prendre son envol. Comment se construire ? Que doit-on conserver ? Quoi mettre de côté ? Qui « écouter » et pour qui ?

Promenade musicale est composée sur le plan sonore du sample d’un cours de Gilles Deleuze, donné à l’université de Paris VIII. Le philosophe commence ainsi : « Je n’ai pas dit nous pensons, mais nous sentons et nous expérimentons. Sentir et expérimenter c’est deux mots très chargés ; Sentir et expérimenter que nous sommes éternels… qu’est ce que cette éternité ? » Avec la distorsion sonore, le discours est parfois incompréhensible. Toutefois, nous comprenons qu’Etre s’est se confondre avec l’extérieur. Sur l’écran, nous voyons un mouvement de caméra redessiner le contour de la photographie d’un couple. Le rythme lent de l’image contraste avec l’énergie de la voix de Gilles Deleuze. « C’est l’ensemble des signes … choc des appropriations … à partir du moment où nous existons… corps composé de parties extensives… perception de moi-même déterminée du dehors… »

Dans Promenade pathétique, nous retrouvons à nouveau un extrait de texte abordant la notion de sensation. « Dans la vie, la seule réalité est la sensation. Dans l’art, la seule réalité est la conscience de la sensation ». (Fernando Pessoa)

Promenade héroïque comprend un extrait de toutes les promenades. Ces moments sont rythmés entre autres par le défilement de glissières autoroutières et des détails de tableaux de le Greco. Ce remix est aussi un éclairage sur ce qui a provoqué cette œuvre. Pierre mercier a en effet été inspiré par l’ouvrage d’Antonia Birnbaum « Nietzsche les aventures de l’héroïsme ». Cette philosophe montre que le héros nietzschéen n’est pas le héros des exploits. Est un héros celui qui pratique la vie au quotidien. Citons à ce propos le commentaire de Roger Pol Droit in Le Monde, 5.1.01. il permet de saisir ce qui a pu retenir l’attention de l’artiste. (cf. passages non italiques)
Son ouvrage « permet de dessiner une silhouette de héros tout à fait en rupture avec l’ancienne, celle du temps des mythes et de la transcendance. Le héros moderne n’accomplit pas des exploits grandioses. Il lui faut plutôt endurer continûment l’absence de signification du monde, supporter la découverte des mauvais penchants derrière les valeurs, persister dans le courage de connaître. Il lui faut aussi assumer sa propre liberté, découvrir la patience de demeurer dans notre solitude et notre heureuse errance, expérimenter avec le corps.
Peut-être le plus important est-il dans la disparition de la pesanteur des vieux héros. Ils étaient graves, sérieux, lourds jusque dans leurs envols. Les modernes sont légers, joyeux, imprévisibles et toniques comme l’écriture de Laurence Sterne. Leurs prouesses sont infimes, multiples, quotidiennes. Ils s’emploient à devenir de bons voisins des choses, à vivre partout des aventures, à suivre à chaque instant des routes inattendues et vite effacées. Ils prennent même la mort à la légère. Mourir pour eux n’est pas une grande affaire. Ce n’est ni un sacrifice ni un moment remarquable, juste une nécessité dont il y a peu à dire. Cela aussi est fort éloigné de la recette de l’héroïsme à l’ancienne, où un morceau d’os est toujours prescrit pour le fond de sauce. Il s’agit au contraire de prendre le monde comme il vient, indéfiniment multiple et insensé pour nous tous, et d’y vivre aussi loin que possible d’étranges et obliques destins. Voilà les héros nouveaux : des gens qui rient, évidemment. »

La fiction Pas de promenade aujourd’hui parle du plaisir de l’autre, de son absence mais aussi du plaisir de ne rien faire. La musique accélérée s’apparente à celle d’un film muet. Nous voyons l’artiste dans les toilettes d’un train… un miroir… une jeune femme rit … un nu… une voix qui dit : « On ne peut pas être tous les deux »…

Apprendre avec humour, avec joie c’est apprendre à construire un monde avec les autres.
N’est-ce pas ?

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